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n°66

Place & sens de la prison en Belgique : entre discours et pratiques

retour au n°66 de la revue l’Observatoire : "La prison comme réponse sociale ?"


Auteur(s)

MARY Philippe Professeur ordinaire à l’Université Libre de Bruxelles (ULB)


Mots-clés

prison - surpopulation carcérale - place en prison - place de la prison - légitimité de l’institution pénitentière - légitimité du droit pénal - détention préventive


Extrait

(...)

Plus de places dans les prisons ?

La question de la place de la prison dans l’arsenal des peines tend à se poser aujourd’hui essentiellement au vu du problème de la surpopulation carcérale qui ne cesse de s’aggraver depuis trente ans.

La population pénitentiaire belge (au 1er mars de chaque année) était de 10.159 détenus en 2009 [1], pour 5.176 en 1980, soit près d’un doublement. Dans le même temps, la capacité d’hébergement est passée d’environ 5.450 places à 8.559, soit une augmentation de près de 50%.

Le problème est réel et important, mais il faut aussi rappeler que la question de la place de la prison ne s’y limite pas et que, plus fondamentalement, subsiste un problème de légitimité de l’institution indépendamment de toute surpopulation ; ce problème est loin d’être neuf puisqu’il fut posé depuis le 19e siècle par des auteurs et praticiens comme Adolphe Prins en Belgique. Plus fondamentalement encore, c’est aussi le problème de la légitimé du droit pénal lui-même qui sera posé avec de plus en plus d’acuité, surtout à partir des années 1970. Plusieurs initiatives de réforme d’envergure seront prises, comme la création d’une commission pour l’étude de la révision du droit pénal et de la procédure pénale en 1946, la nomination d’un commissaire royal à la réforme de la procédure pénale en 1962, la création d’une nouvelle commission pour la révision du code pénal en 1976, la nomination d’un commissaire royal à la réforme du code pénal en 1983, etc. Aucune n’aboutira de sorte que la réflexion sur un droit pénal datant de 1867 et prenant ses racines au 18e siècle est aujourd’hui au point mort. Dans ces conditions, la prison est non seulement laissée à elle-même, mais aussi à tous les usages qui peuvent en être fait et qui alimentent la surpopulation : recours excessif à la détention préventive, allongement de la durée des détentions préventives, allongement des peines…[2] Usages dont on sait par ailleurs qu’ils sont largement déterminés par des facteurs n’ayant que peu à voir avec l’évolution de la criminalité, tels que l’évolution démographique, la situation économique, la confiance dans les institutions, le niveau de protection sociale, l’opinion publique ou les médias[3].

Face à ce véritable emballement, la seule réponse politique est jusqu’à présent l’augmentation de la capacité pénitentiaire.

Jusqu’il y a quelques années, cette augmentation n’était pas le fruit d’un véritable programme politique, mais s’était faite progressivement lors de la rénovation de certains établissements ou de la construction de quelques nouvelles prisons en remplacement d’établissements trop vétustes. Mais, depuis 2008, l’extension de la capacité fait l’objet d’un vaste programme avec le Masterplan 2008-2012 pour une infrastructure carcérale plus humaine adopté par le gouvernement le 8 avril 2008 et complété le 23 décembre de la même année pour s’étendre jusqu’en 2016, qui prévoit la construction d’environ 2.500 à 2.700 cellules supplémentaires [4].

Basée sur de nombreuses erreurs [5] et allant à l’encontre de la plupart des analyses criminologiques ou des recommandations d’instances internationales, une telle politique constitue un tournant significatif dans la réflexion sur la place de la prison, non pas dans l’arsenal pénal, mais, plus globalement, dans la société. En effet, dans son complément au Masterplan du 23 décembre 2008, Stefaan De Clerck, oubliant sa note de 1996, en est venu à faire la promotion de la construction de nouvelles prisons avec un argumentaire avant tout économique. Sous le titre « Impact social des prisons », ce n’est plus la place de celles-ci dans la société qui est examinée, mais, avant tout, l’importance de leurs retombées économiques, en termes d’emplois directs (une prison de 444 places en fournirait 500 pour « au moins 100 ans »[6]) ou indirects (la police locale pour le transport des détenus, les organismes d’aide aux détenus, les maisons de justice, les divers fournisseurs de la prison…), sans oublier l’activité générée par l’arrivée de membres du personnel s’établissant dans la région avec leur famille (logements, commerces, écoles,…). C’est ensuite l’impact sur l’environnement qui est mis en avant, sous une forme quasiment publicitaire, pour souligner le peu de nuisances, notamment sonores (« la prison est un voisin très calme pour les riverains » [7]) ou environnementales (« les prisons sont très peu polluantes (…) pas plus qu’une chambre d’étudiant par exemple » [8]). Le ministre mettra même cyniquement en avant que les centres de détention pour mineurs créent encore moins de nuisances que les prisons : moins de visiteurs, moins d’activités des organismes extérieurs et quasiment pas de travail en atelier [9].

L’impact social des prisons se réduit ainsi à cette autre forme de « consumérisme » pénal [10] où le client n’est plus le justiciable, mais des autorités communales en mal de développement - dont certaines ont d’ailleurs bien compris le message et n’ont pas ménagé leurs efforts pour obtenir « leur » prison [11]- ou des riverains qui ne voudraient pas de cela dans leur jardin. D’aucuns vont jusqu’à y voir une piste sérieuse pour sortir de la crise économique actuelle [12].

(...)


Notes

1. Justice en chiffres 2009, Bruxelles, SPF Justice, 2010, p. 50., 2. Snacken S., « Analyse des mécanismes de la surpopulation pénitentiaire », in Mary Ph., Papathéodorou Th. (dir.), La surpopulation pénitentiaire en Europe. De la détention avant jugement à la libération conditionnelle, Bruxelles, Bruylant, 1999, pp. 9-31 ; Deltenre S., « De l’impact du prononcé de peines privatives de liberté sur l’évolution de la population pénitentiaire belge entre 1994 et 1998 », Revue de droit pénal et de criminologie, 2003, n°2, spéc. pp. 193-198. 3. Ibidem ; Snacken S., « Facteurs de la criminalisation - Une approche européenne comparative », Crimprev Info, 2007, n° 2 (disponible sur le site : www.gern-cnrs.com/gern/index.php?id=6&no_cache=1) ; Snacken S., Dumortier E., (Eds), Resisting Punitiveness in Europe ?, Willan Pub., 2010). 4. Selon mes propres calculs sur base des données du masterplan qui, quant à lui, parle de 1.500 places. Pour une analyse plus détaillée du masterplan, je me permets de renvoyer à mon étude « Les lois pénitentiaires sont-elles faites pour entrer en vigueur ? », in Cartuyvels Y., Guillain Ch., Tulkens Fr.(dir.), La peine dans tous ses états. En hommage à Michel van de Kerchove, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 171-187 5. Ibidem 6. Communiqué de presse du 23 décembre 2008, p. 8 7. Ibid., p. 9 8. Ibid., p. 10 9. Ibidem 10. Kaminski D., « Les droits des détenus au Canada et en Angleterre : entre révolution normative et légitimation de la prison », in De Schutter O. et Kaminski D. (dir.), L’institution du droit pénitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits des détenus, Paris/Bruxelles, L.G.D.J./Bruylant, 2002, p.105. Voir aussi du même auteur Pénalité, management, innovation, Namur, Presses universitaires de Namur, 2010. 11. Exemple non isolé (mais un peu plus médiatisé) : dans une interview donnée au journal Le Soir des 26 et 27 avril 2008 (p. 7), le bourgmestre de La Louvière reprenait ainsi l’argumentaire économique du ministre pour plaider en faveur de l’installation d’une prison sur le territoire de sa commune. Le mayeur y allait même d’un appel à l’égalité régionale : « Une rapide analyse géographique nous place au cinquième rang des villes wallonnes. Or, Tournai, Mons, Namur et Charleroi ont déjà leurs établissements pénitentiaires. Nous sommes les seuls à ne pas en avoir. De quel droit ensuite pourrait-on refuser une telle demande ? Est-ce que la citoyenneté ne nous l’impose pas ? ». Peut-être est-ce Liège qui, même déjà servie, mais oubliée ici de la Wallonie, pourrait refuser la demande… 12. Dans un dossier consacré à la relance économique, le journal Le Soir n’hésitait pas à faire figurer la construction de prisons comme deuxième piste de relance (6 février 2009, p. 3)

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